vendredi 30 novembre 2012


Le Liban, Beyrouth premier jour

    Les épiciers sont plutôt rares à Archrafief, dans le quartier chic et culturel de la capitale libanaise. Je suis à la recherche de lait et de pain pour le petit déjeuner du lendemain. Il est 18h et la nuit commence sa journée. Je remonte une rue ou les vitrines garnies et éclairées des magasins se disputent mon attention. Babioles chics  de décorations de Noël qui me donnent envie de trucider un sapin pour le planter dans mon salon, fringues traditionnelles branchées qui feraient fureur dans le Marais à Paris ou dans le Triangle d’Or à Bordeaux, boutiques de vins classieux qui me font regretter de ne pas picoler et plein de restaurants de standing dans de merveilleuses bâtisses aux terrasses généreuses, encore plus belles dans la nuit grâce aux lumières artificielles qui les subliment comme un léger maquillage sublime la beauté naturelle d’un visage.





Waouh, Beyrouth à cet instant est d’une telle douceur que je me dis que l’expression « C’est Beyrouth !» pour désigner un bordel violent devrait se refaire une nouvelle définition en ce millénaire entamé, comme  je devrais me refaire une garde robe appropriée pour ma quarantaine en chantier.

 
 
 
Des gens tranquilles dans cette sublime rue qui n’en finit pas de monter. Paradis à l’arrivée avec du lait et du pain à gogo ? Que nenni mais j’ai la chance de trouver un épicier joyeux qui me vend d’énormes galettes de pain libanais de la taille d’une antenne parabolique et un sachet de lait en poudre.

 
    Je rentre au théâtre où nos amis travaillent : un spectacle remporte un vif succès et se joue à guichet fermé. Des spectateurs sans billet patientent dans le bureau espérant récupérer des places au dernier moment. C’est beau de voir du public qui se bouscule dans un théâtre…

Au bureau, les deux garçons me demandent :

- Alors ce lait, tu as été traire les vaches pour en trouver ? 

Moi : - C’est dingue ça, on est dans un pays dont le nom veut dire « lait » et  je n’ai trouvé que du lait en poudre.

Je leur montre le paquet de lait en flocon et là, silence, geste suspendu, arrêt sur image.

Garçon 1 : - Du Nido…

Garçon 2 : - Vache, ça existe encore …

Moi : - Le lait frais vous ne connaissez pas ?  

Garçon : - Si depuis la fin de l'année 90…

Moi :- Et avant ?

Garçon 2 : - Avant non il n’y avait pas de lait, c’était la guerre, il n’y avait que du Nido.

Garçon 1 : - C’est le lait de notre enfance. Moi j’aime toujours.

Cette douceur que je ressens de Beyrouth me fait penser à une fleur.  Une fleur fragile mais pugnace, qui  trouve toujours un chemin entre les décombres pour s’élever vers le ciel et ne craint pas de disparaître car ses racines sont comme des montagnes souterraines, profondes et puissantes.  

 

lundi 26 novembre 2012



SOUPE DE CERVEAU

  Bibilothèque universitaire d'Oran
Un Français : - Vous n’y allez pas de main morte sur l’Algérie dans votre blog. Faites attention tout de même.


Moi : - J’ai rien dit de mal.

Un Français : - Vous montrez les rues sales, les hommes qui tiennent les murs, vous parlez des femmes violentées… Ce n’est pas reluisant comme image. Ça pourrait les vexer venant d’une étrangère.

Moi : - Je ne suis pas une étrangère, je suis Algérienne par mon père.

Un Français : -  Ici vous êtes une Française… ce que vous présentez en vitrine c’est la Française.

Moi : - Mais à l’intérieur il y a l’Algérienne…

Un Français : - Si à la rigueur vous mettiez en vitrine votre femme algérienne, vous pourriez critiquer ce pays, mais là ...                                                                  
                                                                   
Moi : - Ma femme algérienne ne se met pas en vitrine, elle est pudique, elle agit de l’intérieur, dans sa maison. Si son pas de porte est encombré de poubelles éventrées, elle s’en plaindra à ses proches mais tous les jours à l’aube elle sortira le nettoyer. Mais elle ne peut pas nettoyer toute sa rue, encore moins toute sa ville.                                              
Ma femme française face à ce problème, va interpeller ses voisins, faire une pétition, manifester, passer à la télévision en bikini s’il le faut, tout ça, pour ameuter l’opinion  publique et obliger les politiques à prendre des  dispositions.                                                                
 
 Lui : - "Si tu vas à Rome, fais comme on fait à Rome " dit un vieux proverbe.

 Moi : -" Si tu vas en Algérie fais comme ton cœur te dit" dit un jeune proverbe.


Après cet échange, une remise en question figea mon désir  d’écrire sur ce que je voyais, recevais et ressentais de l’Algérie.         

Je ne souhaite vraiment pas blesser toutes les personnes merveilleuses que je rencontre à Oran et à Tiaret (250 km au sud-est d’Oran, le grenier à blé de toute l’Europe sous l’occupation française). Je ne souhaite pas profiter de tout ce qu’ils m’offrent généreusement pour ensuite les critiquer.
Je cherche juste à témoigner des émancipations des femmes arabes…

Retour à la source avec la définition du petit Robert 2008.
Emancipation 2.fig. et cour. Action de s’affranchir ou de s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés.

A mon arrivée à Tiaret, j’expose mon désir de témoigner des émancipations des femmes arabes dans un spectacle de théâtre. Une des femmes tiaretienne, professeur d’économie, célibataire, extrêmement séduisante, complètement brune, m’accueille chaleureusement chez elle pour un déjeuner maison (miam miam). Pendant que j’engloutis mon deuxième bol de  H’rira*, elle me dit :
 
La Tiaretienne : - Tu sais dans le Coran, il est dit qu’une femme ne peut pas témoigner. Il faut deux femmes pour ça.

Moi : - Tu veux dire que mon témoignage est nul si nous ne sommes pas deux à témoigner… Pourquoi ?

La Tiaretienne : - Il est prouvé scientifiquement qu’une femme qui réfléchit, n’a qu’un hémisphère de son cerveau qui fonctionne. C’est pour ça qu’il faut qu’elles soient deux. Ça fait un cerveau entier.

Moi (m'attaquant aux bourraks**) : - Étant Franco-algérienne, j’ai deux femmes en moi ça fait donc 4 hémisphères dont deux qui fonctionnent donc, ce qui fait que j’ai un cerveau entier qui réfléchit. Ça le fait non ?

La Tiaretienne : - Je ne crois pas non.

Moi (la bouche pleine) : - Pou'quoi ?

La Tiaretienne : - Parce que ce n’est pas écrit dans le Coran.

Moi : - Faudrait peut-être envisager de  rajouter cette option parce qu’on est nombreuses dans ce cas.

La Tiaretienne : - C’est impossible, on ne touche pas au Coran.

Moi : - Je peux reprendre de la soupe ?


Chers amis Algériens quoi que j’écrive, ne le prenez pas mal : ce ne sont que les dires d’un demi-cerveau.

 *H'RIRA : Spécialité marocaine, soupe servie pendant le mois de ramadan à base de tomates, de féculents, de viande et d'épices.

**BOURRAK : 1.Doigts en feuille de brique ou pâte maison garnis et frits qui accompagnent la H'rira. 
2. Également Saint Bourrak dont le tombeau est à Tlemcen.





 

mercredi 21 novembre 2012

CHAT CRAINT 2


Un chaton passe ses soirées avec moi, il m’a adopté, se love contre ma cuisse pour roupiller. Quand je me lève il me suit, si je l’ignore il miaule pour me rappeler sa vie et quand je lui parle, il me répond. Il est roux, sa gueule semble cassée parce qu’il lui manque une grosse touffe de poils, il est poussiéreux,  a une haleine de sardines avariées mais on s’entend bien. 
Le matin je pars en vadrouille dans la ville et je le lâche pour qu’il fasse sa vie de chat. Mais dès que je tourne les talons, il se faufile sous la porte d’un garage pour se mettre à l’abri. 
Ce chaton n’est pas fait pour vivre dans les rues d’Oran mais plutôt sur le moelleux d’un sofa. 

Le taxi Rachid vient me chercher comme convenu. Aimable et serviable, il adore sa ville et prend un plaisir évident à commenter tout ce qui se trouve sur le chemin qui me mène à mon rendez-vous avec Fatma du Fard (Femmes Algériennes Réclamant leurs Droits).

Rachid : - Ça c’y la cathédrale, des pas musulmans, qui est deveni la bibliothique de l’iniversiti. Ça c’y la banque Badr c’y marqué dessi. Ça c’est le Monte-Carlo, un restaurant, comme spicialiti y z’ont le spicial mais aussi la pizza comme ça… Ça c’est libosart…

Moi : - libosart ?

Rachid : - Oui libosart… là où on filisart… ti connais pas libosart ?

Moi : - Ha les beaux arts...

Rachid : - Ben oui libosart…

Rachid me dépose comme une reine devant le local du Fard, un centre d’écoute pour les femmes victimes de violences conjugales. Le nom du centre  porte le nom de Karima Snoussi.
  
Je retrouve Fatma sa fondatrice. Elle me fait tendrement penser à notre Janine du Frichti de Fatou, pêchue, franc du collier avec une belle et forte personnalité.                                                                      

Moi : - Dis-moi Fatma, c’est qui Karima ?

Fatma : - Karima Snoussi ...cette femme -là a eu des violences de la part de son mari. Elle a déposé plainte, elle a vu la justice, elle a demandé de l’aide. Mais à chaque fois sa famille lui disait « C’est ton cousin, c’est ton mari, il faut l’accompagner, il faut l’aider pour qu’il s’en sorte de cette situation ». Alors à chaque fois elle revenait et à chaque fois ça recommençait.   
 
Quand elle donnait à manger ou à boire à son mari, il fallait qu’elle mange avant lui. Par exemple si elle pose une assiette commune, son mari tourne l’assiette pour qu’elle mange. Parce qu’il pense qu’elle a mis de la sorcellerie. 
Si elle lui sert un café, il faut qu’elle boive d’abord pour qu’il puisse boire. Parce qu’il dit qu’elle a mis de la sorcellerie. 
Et un jour elle en a eu marre … vraiment eu marre. Elle lui a dit : « Oui je t’ai mis de la sorcellerie et si tu ne veux pas boire tu ne bois pas et si tu ne veux pas manger tu ne manges pas ». Et ça été la goutte d’eau qui a cassé le vase. Son mari lui mutilé le sexe avec un couteau. Puis il l’a brulé. Elle a été brûlée au 3ème degré. Elle est restée des mois à l’hôpital et puis elle est morte.

Moi : - Et la famille ? Elle n’a pas vu venir le drame ?
  
Fatma : - La violence conjugale ouvre la porte à la complicité avec toute la famille élargie; il y a une complicité avec la belle-mère, avec les belles-sœurs... Il y a un proverbe qui dit « Marie-toi avec une femme et demi. Quand le demi partira, il restera la femme ». Ça veut dire que dès le départ on a prévu de liquider la moitié de la femme qui résiste, par les violences par des problèmes pour qu’il ne reste que la partie docile, soumise. C’est la seule qui intéresse la tradition.

Après une heure et demie passée avec Fatma qui m’explique son combat quotidien pour que la violence faite aux femmes ne soit plus un acte banalisé et pour qu’il y ait une reconnaissance pénale de cette violence spécifique, je rentre dans mes pénates retrouver le chaton qui vient à ma rencontre dès que je l’appelle.
  
Moi : - Je me demande comment réagirait mon doudou si je te ramenais avec moi à la maison...

Le chaton : - Beaucoup moins pire que si tu lui ramenais un autre homme à la maison.

Chat c'est bien sûr.


Déménagement dans un autre quartier d’Oran, à la cité Emir Abdel Kader ex cité Saint Hubert. Une guest-house, petit appartement dans la villa du propriétaire. C’est moins joli que l’hôtel, moins proche du centre mais c’est moins cher. Enfin pour moi la touriste ça l’est mais pour un autochtone ça reste hors de prix. Le salaire moyen est de 300 euros, un loyer moyen 80 euros, un panini coûte 1euro, une course en taxi de 15mn coute 70 centimes à peine et ma nuit 20 euros.














  Le bus qui me mène au centre ville est de petite taille. Un gars sur le marchepied annonce en criant la direction et invite à monter. Une fois à l’intérieur il passe parmi les voyageurs en faisant claquer la monnaie qu’il tient dans sa main pour que l’on s’acquitte du ticket. 25 dinars soit 20 centimes d’euros. Tout autour du chauffeur des peluches d’ours pendent du plafond. Tout autour de moi, des jeunes femmes portent sur la tête un chiffon. Sur les 22 femmes dans le bus, nous sommes trois en cheveux.
Un jeune homme me cède sa place.

Je m’assoie vexée : j'envisage de porter un chiffon intégral pour vivre anonymement mon presque grand âge
          


           


A l’Institut Français, discussion entre une beauté Oranaise longiligne, parfaite dans son jean slim et son pull seconde peau rouge et une mère de famille impressionnante en gilbeb (long voile noir enserrant le tour du visage retombant sur les épaules et masquant le corps jusqu’au pied). Elle est accompagnée de sa fillette également en gilbeb.


La beauté Oranaise : - Il y a eu une sorte d’engouement pour le voile en 2003 ; toutes les filles qui voulaient se marier se sont mises à le porter. Le hijeb ou l’intégral, le gilbeb. Parce que ça, ça fait « filles bien comme il faut, sérieuses, vertueuses, filles à marier ».
La mère : - Ça ne sert à rien de porter le voile si on ne croit pas à fond à Allah, à l’unicité de Allah, au Tawhid. C’est comme la prière, le jeûne… ça ne sert à rien de les faire si on n’y croit pas complètement. Toute l’humanité n’est qu’un battement de cil, Allah est grand et miséricordieux  et la plus grande offense à Allah c’est de ne croire en rien. C’est le feu qui les attend pour l’éternité.


Moi : - C’est quoi le paradis pour vous ? Comment vous l’imaginez ?
La mère : - Avec mon mari.
La beauté Oranaise : - Mais votre mari il sera avec ses houris, ses quarante vierges super belles !
La mère : - Oui je sais, mais je peux être avec lui, ça n’empêche pas.
La beauté Oranaise : - Vous allez vous retrouver avec votre mari et ses 40 houris et ça ne vous dérange pas ? 
La mère : - Moi ce que je veux, le plus important, c’est me retrouver à l'entrée du paradis. Juste devant la porte, déjà c'est beaucoup.
Moi : - Est-ce que les femmes, les jeunes filles qui portent le voile sont moins harcelées par les hommes dans la rue ?
La beauté  Oranaise : - Il y a dix ans, oui. Mais plus maintenant. Quand les muristes (hommes adossés à des murs toute la journée) voient une fille voilée passer, ils lui disent : « Humm j’aime beaucoup les kinders-surprises


On rigole.
La mère : - Il ne faut pas rire avec ces choses là… c’est le feu qui vous attend.
La beauté Oranaise : - En même temps si c’est pour que je me retrouve au paradis pendant que mon homme s’amuse avec ses 40 vierges… je préfère encore aller manger des sandwichs en enfer.
On rigole et la mère aussi.  Le rire, lien universel.

lundi 19 novembre 2012


Dans l’avion Air Algérie pas de magazines, pas de journaux à disposition. 
Mon voisin de siège Momo de Tlemcen déplore : " Il n’y a rien parce que c’est une compagnie de l’état… les stewards, les hôtesses, ils te parlent comme si tu étais au marché des légumes : « Qu’est-ce que tu veux boire !  «  Qu’est-ce que tu veux quelque chose !». Rien à voir avec les compagnies aériennes privées. Là on te sert de l’eau comme si c’était du champagne avec autant de « s’il te plait » que de dattes dans une grappe. Et les avions d’Air Algérie, ils sont tout le temps en retard, tout le temps. Parfois ils sont tellement en retard qu’ils ne viennent même pas."

Arrivée en retard à Oran, mon voisin de siège Momo de Tlemcen insiste pour me déposer à mon hôtel. 
Sa jeune épouse, sa belle-mère et son cousin venus le chercher m’invitent à dormir chez eux.

Tous ensemble : - Vous êtes la bienvenue !

Moi toute seule : -Qui suis-je pour refuser ?

Les avenues qui mènent au centre d' Oran sont larges et poussiéreuses, les immeubles massifs et délabrés. Les façades arabo-mauresco-portugaises sont parsemées d’antennes paraboliques, disques blancs tournés vers le ciel : on dirait des pellicules qui se desquament d’un cuir chevelu. Les chaussées sont défoncées avec parfois des trous de la taille d’une baignoire.

Le cousin : - C’est les travaux pour le tramway. C’est notre président qui fait tout ça, c’est grâce à lui. Il fait beaucoup de chose pour nous, surtout pour les jeunes, je l’aime beaucoup notre président.

Le flic du rond point ressemble à une figurine des années 50. Costume bleu gris électrique dans un tissu raide et épais, guêtres, gants et grande casquette immaculés. Il a de l’allure pour faire circuler les voitures. 

A Momo et à sa jeune épouse : - Alors comme ça vous êtes des jeunes mariés. Vous avez été où pour votre lune de Miel ?

Les yeux de la belle jeune épouse s’écarquillent. Momo tousse. La belle-mère louche.

Momo : - C’est gênant, on ne dit pas ça, on ne parle pas de ça, surtout devant la belle-mère, ça ne se fait pas, c’est gênant.

Je m’abstiens de poser la question "C'est pour quand les enfants?"
 
Momo : - Chez nous on respecte beaucoup les parents. Même moi j'ai  60 ans et j’ai toujours peur de mon père. Je le crains, je le respecte.

Arrivée à l’hôtel Raja situé en plein cœur du quartier Saint Julien, dans une rue grouillante de vie de toute sorte. Les étals de fruits des marchands ambulants flirtent avec des poubelles éventrées à leur pieds, des d’hommes de tout âge sont adossés contre des murs ou assis sur les margelles des boutiques, d’autres font le pied de grue à l’angle d’une rue, les femmes ne stagnent pas, elles passent, font leur courses, trainant un enfant par le bras.

Momo : - Demain venez prendre le thé chez ma sœur. Vous resterez pour manger aussi. Vous êtes la bienvenue.

Moi : - D’accord, choukrane* beaucoup et à demain.

Momo : - Inch Allah**

Y a pas d’ Inch Allah qui tienne : demain j’irai prendre le thé chez vous parce que "je le veux bien".
                                                                   *merci                                                                                                                                                                                                
**Si Dieu le veut bien






samedi 17 novembre 2012

L’Islam pour les nulles 

Belle rencontre à Tunis avec un journaliste-philosophe-militant  à la matière grise tellement bien foutue qu’en l’écoutant mon cerveau s’est mis à faire de la muscu. Ce jeune monsieur aurait pu choisir de vivre en mode bobo dans notre beau pays mais il a préféré rentrer en Tunisie pour participer activement à la construction de son pays. Sauf qu’il est interdit de chantier lui et son cerveau bien construit.  

Lui : - Les islamistes ont tendance à nous présenter une opinion d’un vénérable cheikh ou imam du 14ème siècle comme parole révélée. Or non. C’est son interprétation des textes du Coran. Les islamistes donnent de l’autorité à des cheikhs qui ont été parfois vénérables mais le temps a passé.


Moi : - Et aujourd’hui comment faut-il interpréter le Coran ?


Lui : - Il faut utiliser des moyens d’interprétations différents, il faut utiliser les sciences nouvelles : utiliser la sémantique, la linguistique, la sémiologie…


Moi : - Je chercherai les définitions dans le dico…


Lui : - Ce sont des sciences du 20ème siècle fondées en Europe qui ont été utilisées pour l’interprétation des textes. Déjà  il faut  considérer le Coran comme un texte. Sur ce point il y a divergence. Le Coran est un texte. 


Moi : - Qui dit que c’est pas un texte ?


Lui : - Les gens qui pensent que c’est une parole… Ou que c’est un métatexte.


Moi : - Et c’est quoi un... euh... méta-tarte?


Lui : - C’est un texte, différent, parce que son auteur présupposé c’est Dieu. Mais ça reste quand même un texte fait par la langue des hommes. Un texte qui a été prononcé par les hommes pour  des hommes. Donc il y a là un outil de communication, un message à interpréter.


Moi : - Et qui c’est qui s'y colle pour l’interprétation?


Lui : - Traditionnellement on dit : est apte à interpréter le Coran celui qui maitrise la langue arabe et celui qui a un savoir religieux.


Moi : - Et c’est tout ?


Lui : - Parfois c’est sanctionné par un diplôme. D’autres fois c’est pas le cas. C’est juste une posture que quelqu’un peut arriver à occuper, grâce à son charisme, grâce à une lutte qu’il a menée.


Moi : - Donc n’importe qui pourrait interprèter le Coran…


Lui : - Tout le monde devrait pouvoir interpréter le Coran oui. Après que l’interprétation touche une majorité c’est autre chose. C’est selon l’interprétation. C’est comme un critique de théâtre par exemple. Un critique qui marche bien. Il n’a pas forcément un diplôme de l’histoire de l’art de linguistique ou de théâtre pour exercer en tant que critique s'il est reconnu…


Moi : - Tu sais ce qu’on dit des critiques de théâtre ? Que ce sont des artistes ratés.


Lui : - Tu veux dire que les imans seraient des prophètes ratés?


Moi : - Oh tu sais nul n’est prophète dans ce qu’il dit...



dimanche 11 novembre 2012


Le métro léger, la main lourde et la mini-loose

Aujourd’hui je devais me rendre dans un quartier de Tunis appelé Menzah 5. Quartier chic avec des magasins de standing mais avec la particularité d’avoir des trottoirs complètement déglingués ( il paraît que c est la faute des 4 4).

A 13H le taxi jaune que je hèle pour me déposer à mon rdv me dit :  « Ha non madame trop de bouchons…prends le métro s’il te plait, c’est mieux ». Ce n’est pas un tacot parisien qui me dirait ça. C’est parti pour le métro vert, le métro léger comme on l’appelle ici. Léger comme le prix du ticket 25 centimes d’euros.  Le quai du métro grouille de monde. Il fait chaud et humide. Tellement lourd que j’ai l’impression de transpirer du gras. La femme a coté de moi porte un long manteau, un voile fermé et des gants. Elle n’a pas l’air de souffrir de la chaleur. Sa peau n’est même pas luisante. De la regarder me donne encore plus chaud. L idée que je sois en pleine pré-ménopause me traverse l’esprit. Esprit en pleine sieste parce que ça ne me fait ni froid… ni froid.

Le métro arrive enfin, aussi bondé que sur le quai. Avec fracas les portes s’ouvrent et les marchepieds se déploient : la marée humaine du dedans essaie de descendre tandis que la marée humaine du dehors essaie de monter. S’il ne faisait pas aussi chaud je trouverai ça marrant. Mais là je trouve ça navrant dans ma peau de poisson frit.

C’est du gros n’importe quoi et pourtant personne n’agresse personne. C’est comme en voiture : ça roule à toute berzingue et personne se s’arrête aux feux rouges ou ralentit pour te laisser traverser. Le piéton est une quille dans un jeu de bowling. Dès que tu mets le pied sur la chaussée, on dirait que les voitures te foncent dessus. Lâcher un cardiaque prêt d’un passage piéton tunisien c’est le strike du crime parfait.

Dans le métro léger, les lignes ne sont pas affichées ou très rarement. Idem pour les noms des stations : parfois c’est visible parfois non.  Mais il y a quelque chose qui marche vraiment bien pour savoir où on est, c’est le contact. Tu n’as même pas besoin de demander : le tunisien te voit chercher et il vient à ton secours. Et en français s’il vous plait. Ca parait évident mais je suis impressionnée de ce peuple parfaitement bilingue qui va jusqu’à inventer un troisième langage en utilisant les deux langues dans une même phrase.

«N’harleff…Benti pour aller à Menzah 5 il faut prendre l’autobus n°5 ». Evidement.

C’est dans la peau d’une frite sortie de son 1er bain d’huile que je monte dans le bus en question. Je tends ma pièce de monnaie au chauffeur qui l’ignore et m’envoie vers le fond. Dans les bus tunisois, la montée se fait par l’arrière et la descente par l’avant. A l’arrière il y a le petit monsieur qui délivre les billets. Installé sur sa chaise il a un petit comptoir avec ses petits tickets, son tampon et sa caisse de monnaie. Purée à l’ancienne.

Deux jeunes filles sont debout à quelques mètres de moi, appuyées à la vitre, elles discutent en regardant  à l’extérieur. Elles sont belles comme des fleurs au début du printemps. Derrière elles, une autre jeune fille, à la peau noire et au jean slim saumon, collée à la vitre. Elle me tourne le dos, je ne vois pas son visage, juste son derrière particulièrement bombé comme les fesses d’une sprinteuse. A côté d’elle, ou plutôt devant ses fesses et me faisant face, un jeune type de 20 ans, seul, qui sourit par intermittence. Bien qu’il soit propre et bien habillé, il me parait louche souriant béatement à chaque secousse ou accélération du bus.  

Il tient la barre au dessus de sa tête avec sa main gauche  mais son corps est anormalement déporté sur sa droite.

J’observe, les moments où il sourit, les moments où il s’arrête…on dirait que ça clignote dans sa tête. Le jean slim saumon se pousse par moment et le corps du jeune type suit le mouvement. Pas tout le corps…juste sa main … qui se colle au tissu saumon du jean slim…contre les fesses musclées de la jeune fille.
Oh le petit halouf (je bilingue aussi).
Je m’approche du l'apprenti satyre de la ligne de bu n°5, lui plante mon regard suintant dans le sien tout content et lui siffle à l’oreille : « Dis donc jeune homme, vous voulez les miennes de fesses à tripoter ? » Il me sourit incrédule et me répond naïvement « Oui madame si ça peut vous faire plaisir ».

C’est officiel, je suis en pré-ménopause sous le soleil de Tunis.

samedi 10 novembre 2012


Chat craint...
Aujourd’hui à Tunis, j’ai vu des chattes, beaucoup de chattes. Il y en avait les jours précédents, mais aujourd’hui je les ai plus remarquées. Elles survivent en éventrant les petits sacs poubelles déposés au bord des routes ou dans les allées bordées d’habitations. Des sacs de supérettes qu’on peut déchirer facilement, même avec une mâchoire édentée. Des chattes grises, des beige-blanc, noires, tigrées…des miteuses, des fières, des de gouttière qui se mettent à table sur les tas de petits sacs poubelles de supérette.  Mais pas le chaton mort allongé sous le buisson près du métro léger. A côté de lui au milieu du trottoir une petite chatte grise est assise et me suit du regard parce que je lui parle bêtement. " Le petit chat est mort...c'est triste. Tu es de la famille? " Elle semble m’écouter et me hume avec son petit nez.

Ça me retourne comme une crêpe fourrée au-ronron-souris.

Mais elles ne se plaignent pas les chattes, c’est moi qui m’apitoie.

A courir partout dans la ville de Tunis et sa banlieue, j’ en ai oublié mon agenda : chez une artiste plasticienne connue, non pas pour ses œuvres mais pour le tollé que son travail a provoqué en juin dernier vis-à-vis des islamistes pas du tout modérés qui ont attaqué la galerie d’exposition à la Marsa et détruit des œuvres.

Le gouvernement a traduit en justice l’artiste plasticienne parce que les casseurs ont porté plainte contre elle : « trouble de l’ordre public ». Mais les vandales, ils ont eu que dalle.
Les représentants politiques ont dit : «  Tout de même, il y a des choses qui ne se font pas » en direction de l’artiste, mais pas des voyous.

L’artiste attend donc de passer en procès et risque entre 6 mois et 5 ans de prison.
Elle continue son travail d’artiste plasticienne, même si elle ne peut pas exposer, même si elle est obligée de se défendre, même si elle devenue malgré elle l’incarnation de la lutte pour la liberté d’expression même si elle est très fatiguée de tout ça.

 « Mais moi ça va, me dit-elle, j’ai de la chance :  j’ai des avocats, la presse internationale a réagi à cette affaire, je continue mon travail, j’ai un peu de poids, je me défends. Mais il y a 6 mois, 2 gamins de 23 ans ont été arrêtés parce qu’ils avaient posté des caricatures de Mahomet sur Facebook. Un a réussi « à brûler » (s’enfuir) à l’étranger mais l’autre il en a pris pour 7 ans. 
Tu le savais ? Non, personne n'est au courant."
  
Ça me retourne comme un flan sans caramel pour-que-ça-glisse-mieux.

Mais elle ne se plaint pas l’artiste plasticienne, elle est tunisienne.