mercredi 21 novembre 2012

CHAT CRAINT 2


Un chaton passe ses soirées avec moi, il m’a adopté, se love contre ma cuisse pour roupiller. Quand je me lève il me suit, si je l’ignore il miaule pour me rappeler sa vie et quand je lui parle, il me répond. Il est roux, sa gueule semble cassée parce qu’il lui manque une grosse touffe de poils, il est poussiéreux,  a une haleine de sardines avariées mais on s’entend bien. 
Le matin je pars en vadrouille dans la ville et je le lâche pour qu’il fasse sa vie de chat. Mais dès que je tourne les talons, il se faufile sous la porte d’un garage pour se mettre à l’abri. 
Ce chaton n’est pas fait pour vivre dans les rues d’Oran mais plutôt sur le moelleux d’un sofa. 

Le taxi Rachid vient me chercher comme convenu. Aimable et serviable, il adore sa ville et prend un plaisir évident à commenter tout ce qui se trouve sur le chemin qui me mène à mon rendez-vous avec Fatma du Fard (Femmes Algériennes Réclamant leurs Droits).

Rachid : - Ça c’y la cathédrale, des pas musulmans, qui est deveni la bibliothique de l’iniversiti. Ça c’y la banque Badr c’y marqué dessi. Ça c’est le Monte-Carlo, un restaurant, comme spicialiti y z’ont le spicial mais aussi la pizza comme ça… Ça c’est libosart…

Moi : - libosart ?

Rachid : - Oui libosart… là où on filisart… ti connais pas libosart ?

Moi : - Ha les beaux arts...

Rachid : - Ben oui libosart…

Rachid me dépose comme une reine devant le local du Fard, un centre d’écoute pour les femmes victimes de violences conjugales. Le nom du centre  porte le nom de Karima Snoussi.
  
Je retrouve Fatma sa fondatrice. Elle me fait tendrement penser à notre Janine du Frichti de Fatou, pêchue, franc du collier avec une belle et forte personnalité.                                                                      

Moi : - Dis-moi Fatma, c’est qui Karima ?

Fatma : - Karima Snoussi ...cette femme -là a eu des violences de la part de son mari. Elle a déposé plainte, elle a vu la justice, elle a demandé de l’aide. Mais à chaque fois sa famille lui disait « C’est ton cousin, c’est ton mari, il faut l’accompagner, il faut l’aider pour qu’il s’en sorte de cette situation ». Alors à chaque fois elle revenait et à chaque fois ça recommençait.   
 
Quand elle donnait à manger ou à boire à son mari, il fallait qu’elle mange avant lui. Par exemple si elle pose une assiette commune, son mari tourne l’assiette pour qu’elle mange. Parce qu’il pense qu’elle a mis de la sorcellerie. 
Si elle lui sert un café, il faut qu’elle boive d’abord pour qu’il puisse boire. Parce qu’il dit qu’elle a mis de la sorcellerie. 
Et un jour elle en a eu marre … vraiment eu marre. Elle lui a dit : « Oui je t’ai mis de la sorcellerie et si tu ne veux pas boire tu ne bois pas et si tu ne veux pas manger tu ne manges pas ». Et ça été la goutte d’eau qui a cassé le vase. Son mari lui mutilé le sexe avec un couteau. Puis il l’a brulé. Elle a été brûlée au 3ème degré. Elle est restée des mois à l’hôpital et puis elle est morte.

Moi : - Et la famille ? Elle n’a pas vu venir le drame ?
  
Fatma : - La violence conjugale ouvre la porte à la complicité avec toute la famille élargie; il y a une complicité avec la belle-mère, avec les belles-sœurs... Il y a un proverbe qui dit « Marie-toi avec une femme et demi. Quand le demi partira, il restera la femme ». Ça veut dire que dès le départ on a prévu de liquider la moitié de la femme qui résiste, par les violences par des problèmes pour qu’il ne reste que la partie docile, soumise. C’est la seule qui intéresse la tradition.

Après une heure et demie passée avec Fatma qui m’explique son combat quotidien pour que la violence faite aux femmes ne soit plus un acte banalisé et pour qu’il y ait une reconnaissance pénale de cette violence spécifique, je rentre dans mes pénates retrouver le chaton qui vient à ma rencontre dès que je l’appelle.
  
Moi : - Je me demande comment réagirait mon doudou si je te ramenais avec moi à la maison...

Le chaton : - Beaucoup moins pire que si tu lui ramenais un autre homme à la maison.

Chat c'est bien sûr.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire