vendredi 7 décembre 2012

Vies de cité et vides juridiques



 
 
 
Cela fait 10 jours que nous sommes à Beyrouth. Nous avons à ce jour rencontré 12 femmes  et 3 hommes avec qui nous avons eu un échange de plus d’une heure minimum autour de la question « Comment c’est la vie d’une femme à Beyrouth ? »

Chez Paul, dans le quartier chic d’Achrafieh à la jointure Est-Ouest de Beyrouth, une française chic et sympathique, mariée depuis 30 ans à un Libanais, m’affirme sans manières :

« Les femmes mariées sont des reines ici : adulées, aimées, chouchoutées, protégées… Faut voir ce que les femmes demandent aux hommes pour se faire épouser : appartement, bijoux, voitures, garde-robe de marque… elles les rincent littéralement. Dans le contrat de mariage religieux- il n’y a que celui-là qui est légitime ici – elles rajoutent toutes les clauses qu’elles veulent. Si les hommes perdent leur boulot, elles ne veulent pas le savoir, c’est leur problème. Ou ils assurent ou elles retournent dans leur famille. Vous n’avez qu’à lire « Les Pintades à Beyrouth » pour vous faire une idée de la femme libanaise. Enfin, ça c’est dans mon milieu bien sûr. Dans les classes moyenne ça doit être différent ».

La classe moyenne, avec un salaire moyen de 800 dollars (400 étant la base minimum), je la rencontre au travers de trois femmes : une aide ménagère à domicile, une employée à la direction des ressources humaines d’une société et une secrétaire dans une boîte d’électroménager. 
La secrétaire a la petite quarantaine mince, le visage fardé, les cheveux lissés, porte un jean sexy et un pull moulant coloré. Son sourire réservé dévoile une dentition refaite dont les gencives brunissent aux jointures.Dans le taxi service où je la rencontre,
je la questionne :
« Vous avez une bonne vie ici en tant que femme ? »                                                       
 
Avec la fière pudeur de ne pas vouloir se plaindre, la quadra me répond :                          « Vous venez de France, ici c’est différent il n’y a rien de gratuit : l’école pour mon garçon, les soins médicaux, c’est payant.  Le loyer, la nourriture, les charges tout ça coûte beaucoup, c’est très cher… Je travaille tout le temps et mon mari a trois emplois. Ma sœur est partie vivre à Londres. C’est plus facile.»

L’employée des ressources humaines a la trentaine, le visage sans maquillage à part des sourcils tatoués comme c’est la mode ici. Elle est posée, méfiante mais devient disponible et souriante lorsqu’elle comprend ma démarche. Etre une femme à Beyrouth c’est comment ? Elle : «Les femmes comme moi n’ont pas de droit face aux hommes. Ce sont eux qui font les lois et les lois sont mauvaises parce que ce sont des lois religieuses qui décident pour les femmes. Les hommes ont des droits sur nous, si on n’obéit pas, ils peuvent nous frapper, nous divorcer, nous enfermer. Une femme libanaise n’a pas le droit de donner sa nationalité à son enfant par exemple. Il n’y a pas de lois pour nous protéger. Elles sont faîtes pour les hommes.»  

L’aide ménagère s’agite comme une enfant, bien qu’elle ait 50 ans ; elle a un beau visage maquillé aux sourcils tatoués, de magnifiques dents. 

« Ce sont des fausses… Je n’ai plus de dents à cause de la drogue. J’ai pris de la drogue à 18 ans… J’étais perdue comme beaucoup de gens autour de moi… J’ai fait n’importe quoi pour de la drogue… j’ai volé, j’ai été en prison… Je sortais, je revenais. C’est horrible la prison, il n’y a rien, c’est sale, on est comme des bêtes. Mais la drogue c’est plus fort que tout. Et un jour une femme est venue pour nous proposer un atelier de drama-thérapie. On a fait une pièce de théâtre dans la prison. J’ai aimé ça  faire l’actrice, je me suis aimée. Quand on a joué dans la prison, des gens du dehors sont venus nous voir. Un spectateur a aimé ce qu’il a vu de moi et il a voulu m’aider. Il m’a payé des dents. Maintenant, je travaille, je fais aussi l’actrice,  je ne veux plus de drogue, je ne veux plus de prison. Il ne faut pas prendre de drogue si on veut s’aimer. »


Suite des rencontres au prochain post…
 

 

 

 

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