lundi 10 décembre 2012

Rési(g)ne de pins


Sur les hauteurs de la ville de Byblos, nichée dans la montagne, une famille de Libanais chrétiens nous accueille. Une superbe maison à l’architecture moderne entourée d’une forêt de pins, nous ouvre son portail… électrique.
La mère : - L’électricité a été installée très tard ici… vers 1960. Ça été quelque chose d’incroyable pour les habitants. Ma belle-mère m’a raconté qu’elle a connu un villageois qui a failli devenir fou : il a passé sa nuit à essayer d’éteindre les ampoules en soufflant dessus.

La fille : - Ma grand-mère m’a raconté aussi que la première fois que les villageois ont vu une voiture,  un DS Citroën,  ils ont été tellement impressionnés par « ses grands yeux » qu’ils croyaient que c’était une bête.  Ils lui ont tous apporté du foin pour qu’elle mange.  

Moi : - Votre grand-mère est la mémoire du village ?

La fille : - Elle a été très active toute sa vie pour sa région, son village, sa maison. J’ai retrouvé et je m’occupe de trier toute une correspondance qu’elle entretenait avec ses frères et sœurs partis s’installer au Brésil. Elle était restée ici car elle ne voulait pas quitter le Liban. Elle aimait profondément cette terre.

Le père : - Au sens propre. Ma mère était une femme qui aimait la nature. C’est elle qui a planté tous les pins de la forêt qui entoure notre maison. Elle a également fait des plantations dans tout  le village.

Moi : - Ce sont des pins maritimes… Comment votre mère les a eu ?

Le père : - Elle était amie avec le ministre de l’agriculture. Elle lui demandait de lui faire importer des plants d’arbustes. Et elle les a plantés elle-même.

Mère :- Sans respecter les trois mètres réglementaires entre chaque plant …

La fille : - C’était à cause du sol rocailleux : dans une des lettres adressées à son frère, elle écrit : « Le sol de ce vaste terrain est une désolation : un ventre rocailleux donne peu de chance à la nature d’engendrer une généreuse verdure. J’ai donc planté des pins très proches les uns des autres avec l’espoir fervent que quelques plants puissent s’enraciner, croitre et s’épanouir sur notre belle terre du Jbel. »

Mère : - Et 50 ans plus tard, c’était une vraie jungle de pins : tout avait poussé et mal, mais poussé. A croire que le Saint Esprit avait exaucé ses vœux. 

Moi : - Votre belle-mère était chrétienne ?

Père : - Nous sommes chrétiens maronites. Quand ma mère à planté ces arbres, plus de la moitié de la population libanaise était maronite. Aujourd’hui nous sommes un tiers pour deux tiers de musulmans, chiites et sunnites confondus.  

Moi : - Est-ce parce que les maronites ont beaucoup immigré à l’étranger, comme vos oncles, qu’il y en a moins aujourd’hui ?

La mère : - Nous voyageons beaucoup mais ce n’est pas pour ça que nous sommes moins nombreux. Une des raisons, c’est que les maronites ont moins d’enfants que les musulmans…  

La fille : - C’est obligé d’être d’une confession sur nos papiers, nos certificats de naissance mais pour moi c’est la cause de nos problèmes ici… mais j’ai trouvé une position provisoire pour ne pas péter les plombs…

Moi : - Laquelle ?

La fille : - C’est ma grand-mère qui m’a inspiré : à 19 ans elle écrit à ses frères et sœurs pour leur annoncer la mort prématurée de leur père. Dans un courrier, elle leur dit « (…) Je vous prie de faire preuve de résignation chrétienne pour accepter les desseins de Dieu. »    J’essaye de faire preuve, au quoitidien, de la même résignation chrétienne : pardonner les faiblesses des hommes qui me pourrissent la vie au nom d’un même Dieu.

Mère : - Vous devez mourir de faim les mezzés nous attendent la table est dressée à l’orée de la forêt de pins…

Le père : - … Avec une bonne bouteille de Kefraya.












A mon tour de faire  preuve d’une résignation diététique en priant tous les Saints de toutes les confessions  d’exaucer le miracle de ne pas prendre un kilo supplémentaire au cours de ce dîner. 




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