jeudi 13 décembre 2012

Union mixte-union à rixes






La mère : - " Ici les enfants sont rois. On ne discute pas les désirs des enfants, on se débrouille pour les satisfaire. Ma fille aînée a toujours tenu tête à son père. Ils étaient pareils. Durs. L’un comme l’autre, pas facile. 

Un jour j’ai assisté à la dernière scène qu’ils ont eue ensemble. C’était à la fin du mois de novembre et nous devions nous rendre au 7ème enterrement d’un parent de voisin.

Mon mari était est assis confortablement sur l’un de nos trois canapés recouverts de brocard et velours face à l’immense baie vitrée de notre appartement du treizième étage qui domine la place des Martyrs.   
Ma fille se tenait face à lui, debout sur l’un des cinq tapis persans qui recouvre le parquet doré du salon des invités. Elle le dominait à peine avec les 1m55 et 47 kilos de ses 25 ans, que nous avions fêtés la veille dans le plus chic restaurant de la ville.

Ma fille : - Mon projet de construction et d’aménagement d’abris de guerre est carrément indispensable pour trois bonnes raisons : 1, pour que les civils puissent s’y réfugier en cas d’attaques. 2  pour créer une dynamique économique d’emplois  et  3 pour gagner ma vie en faisant quelque chose de vraiment utile. C’est vraiment un projet en béton, si tu investis tu seras gagnant.  Je n’ai jamais été aussi sérieuse Papa…

Le père : - C’est ça ta dernière lubie ? Faire du commerce avec la guerre… La dernière fois c’était moins vulgaire avec ton projet d’apprendre aux gens à conduire sans se traîter …

La fille : - C’était un projet d’apprentissage de « conduites citoyennes »  avec entre autre, une thérapie pour canaliser et évacuer la colère au volant… Tu trouves ça normal de péter un plomb quand quelqu’un a le malheur de s’arrêter au feu rouge ? Normal d’insulter non stop tout ce qui passe à portée de ton pare choc ? Normal de vivre dans un pays qui a le cul entre deux guerres en faisant comme si tout allait bien ?

Le père : - Tu ne sais pas de quoi tu parles… je ne t’ai pas élevée comme ça… Pourquoi ne cherches-tu pas un bon garçon pour fonder une famille ? Me donner des petits enfants…

La fille : - Parce que je veux faire quelque chose de ma vie,  gagner ma vie…

Le père : - Tu n’as rien à gagner du tout, ta vie tu l’as, c’est moi qui te l’ai donnée. Et tous les jours depuis 25 ans je te donne de quoi la vivre et la vivre très bien… Et c’est comme ça que tu me remercie ? En me racontant tes salades d’abris de guerre… C’est ça que tu nous souhaites, une guerre ?

La fille : - Je te raconte que je ne suis pas ta poupée, je ne suis pas comme maman…

Le père : - Malheureusement…

La fille : - Ce n’est pas parce que tu payes que tu as le droit de faire de moi ce que tu veux, je ne suis pas comme tes bonnes…

Le père : - Attention à ce que tu dis …

La fille : - Sinon quoi ? Tu vas me klaxonner dessus ? Tu vas monter dans ta grosse bagnole allemande me  foncer dessus et m’insulter ? Tu vas arrêter de me donner de l’argent  pour que j’arrête d’aller me saouler dans les bars branchés à la recherche du poivrot charmant, libanais, maronite, assez friqué pour faire de moi sa p...

La gifle part, assez forte pour l’humilier mais pas assez forte pour la décourager…

La fille : -…pouffe. 

Le père : - Il n’y a plus de guerre personne n’a besoin d’abri parce qu’il n y a plus de guerre c’est fini tu entends il n’y a plus de guerre !

La fille : - Et les voitures piégées et les enlèvements !!! Ecoute les infos… Ça va péter de nouveau c’est qu’une question de temps… et tu le sais toi parce que tu l’as faite la guerre tu sais bien que c’est pas fini que ça continue … mais toi, ton peuple, tous là, vous n’apprenez rien de rien ?

La deuxième gifle part plus forte que la première.

Je sors de ma cachette pour calmer mon mari… à quoi bon le contrarier, il est méditerranéen.

La mère : - Allez ma fille, va te préparer pour l’enterrement de la grand-mère du voisin de l’immeuble d’en face.

La fille :- Mais je ne les connais même pas ces gens…
  
Le père : - Tu veux discuter la tradition aussi ? Ça ne te suffit pas ?

La mère : - Mon chéri ta cravate est prête… je m’occupe de notre fille…

Le père : - Ton maquillage est trop brillant … mets ton chapeau avec la voilette et les gants que je t’ai rapporté de Paris. Avec le solitaire en saphir et les trois anneaux Cartier…

La mère : - Comme tu voudras.

Mon mari quitte le salon d’un pas lourd, la nuque contrariée.

La mère : - Ma chérie, ça ne sert à rien de lui tenir tête, ce n’est pas comme ça que ça marche.

Ma fille m'a regardée, a regardé l’empreinte laissée par le corps de son père sur le canapé en brocard et velours, a saisi un des coussins brodés par sa grand-mère, a frappé l’empreinte du canapé jusqu’à ce qu’elle disparaisse, s’est assise à son tour en s’enfonçant profondément pour y laisser une trace, s’est levée, m’a embrassée, a pris son sac et à quitté l’appartement.  
Le lendemain elle a quitté le pays.

Cela fait 5 ans aujourd’hui que mon mari n’a pas revu sa fille.                                                                       

Ma  fille a eu ce qu’elle voulait de son père : la guerre."

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