Sur les hauteurs de la ville de Byblos, nichée dans la
montagne, une famille de Libanais chrétiens nous accueille. Une superbe maison
à l’architecture moderne entourée d’une forêt de pins, nous ouvre son portail… électrique.
La mère : - L’électricité a été installée très tard
ici… vers 1960. Ça été quelque chose d’incroyable pour les habitants. Ma
belle-mère m’a raconté qu’elle a connu un villageois qui a failli devenir fou :
il a passé sa nuit à essayer d’éteindre les ampoules en soufflant dessus.
La fille : - Ma grand-mère m’a raconté aussi que la
première fois que les villageois ont vu une voiture, un DS Citroën, ils ont été tellement impressionnés par
« ses grands yeux » qu’ils croyaient que c’était une bête. Ils lui ont tous apporté du foin pour qu’elle
mange.
Moi : - Votre grand-mère est la mémoire du village ?
La fille : - Elle a été très active toute sa vie
pour sa région, son village, sa maison. J’ai retrouvé et je m’occupe de trier toute
une correspondance qu’elle entretenait avec ses frères et sœurs partis s’installer
au Brésil. Elle était restée ici car elle ne voulait pas quitter le Liban. Elle
aimait profondément cette terre.
Le père : - Au sens propre. Ma mère était une femme qui
aimait la nature. C’est elle qui a planté tous les pins de la forêt qui entoure
notre maison. Elle a également fait des plantations dans tout le village.
Moi : - Ce sont des pins maritimes… Comment votre
mère les a eu ?
Le père : - Elle était amie avec le ministre de
l’agriculture. Elle lui demandait de lui faire importer des plants d’arbustes. Et
elle les a plantés elle-même.
Mère :- Sans respecter les trois mètres
réglementaires entre chaque plant …
La fille : - C’était à cause du sol
rocailleux : dans une des lettres adressées à son frère, elle écrit :
« Le sol de ce vaste terrain est une
désolation : un ventre rocailleux donne peu de chance à la nature
d’engendrer une généreuse verdure. J’ai donc planté des pins très proches les
uns des autres avec l’espoir fervent que quelques plants puissent s’enraciner,
croitre et s’épanouir sur notre belle terre du Jbel. »
Mère : - Et 50 ans plus tard, c’était une vraie jungle
de pins : tout avait poussé et mal, mais poussé. A croire que le Saint Esprit
avait exaucé ses vœux.
Moi : - Votre belle-mère était chrétienne ?
Père : - Nous sommes chrétiens maronites. Quand ma
mère à planté ces arbres, plus de la moitié de la population libanaise était
maronite. Aujourd’hui nous sommes un tiers pour deux tiers de musulmans,
chiites et sunnites confondus.
Moi : - Est-ce parce que les maronites ont beaucoup immigré
à l’étranger, comme vos oncles, qu’il y en a moins aujourd’hui ?
La mère : - Nous voyageons beaucoup mais ce n’est
pas pour ça que nous sommes moins nombreux. Une des raisons, c’est que les
maronites ont moins d’enfants que les musulmans…
La fille : - C’est obligé d’être d’une confession
sur nos papiers, nos certificats de naissance mais pour moi c’est la cause de
nos problèmes ici… mais j’ai trouvé une position provisoire pour ne pas péter
les plombs…
Moi : - Laquelle ?
La fille : - C’est ma grand-mère qui m’a inspiré :
à 19 ans elle écrit à ses frères et sœurs pour leur annoncer la mort prématurée
de leur père. Dans un courrier, elle leur dit « (…) Je vous prie de faire preuve de résignation chrétienne pour
accepter les desseins de Dieu. »
J’essaye de faire preuve, au quoitidien, de la même résignation
chrétienne : pardonner les
faiblesses des hommes qui me pourrissent la vie au nom d’un même Dieu.
Mère : - Vous devez mourir de faim les mezzés nous
attendent la table est dressée à l’orée de la forêt de pins…
Le père : - … Avec une bonne bouteille de Kefraya.
A mon tour de faire preuve d’une résignation diététique en priant tous les Saints de toutes les confessions d’exaucer le miracle de ne pas prendre un kilo supplémentaire au cours de ce dîner.
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