Le Liban, Beyrouth premier jour
Les épiciers sont plutôt rares à Archrafief, dans le
quartier chic et culturel de la capitale libanaise. Je suis à la recherche de
lait et de pain pour le petit déjeuner du lendemain. Il est 18h et la nuit
commence sa journée. Je remonte une rue ou les vitrines garnies et éclairées
des magasins se disputent mon attention. Babioles chics de décorations de Noël qui me donnent envie
de trucider un sapin pour le planter dans mon salon, fringues traditionnelles
branchées qui feraient fureur dans le Marais à Paris ou dans le Triangle d’Or à
Bordeaux, boutiques de vins classieux qui me font regretter de ne pas picoler et
plein de restaurants de standing dans de merveilleuses bâtisses aux terrasses
généreuses, encore plus belles dans la nuit grâce aux lumières artificielles
qui les subliment comme un léger maquillage sublime la beauté naturelle d’un
visage.
Waouh, Beyrouth à cet instant est d’une telle douceur que
je me dis que l’expression « C’est Beyrouth !» pour désigner un bordel
violent devrait se refaire une nouvelle définition en ce millénaire entamé,
comme je devrais me refaire une garde robe appropriée pour ma quarantaine
en chantier.
Des gens tranquilles dans cette sublime rue qui n’en
finit pas de monter. Paradis à l’arrivée avec du lait et du pain à gogo ?
Que nenni mais j’ai la chance de trouver un épicier joyeux qui me vend d’énormes
galettes de pain libanais de la taille d’une antenne parabolique et un sachet
de lait en poudre.
Je rentre au théâtre où nos amis travaillent : un
spectacle remporte un vif succès et se joue à guichet fermé. Des spectateurs sans
billet patientent dans le bureau espérant récupérer des places au dernier
moment. C’est beau de voir du public qui se bouscule dans un théâtre…
Au bureau, les deux garçons me demandent :
- Alors ce lait, tu as été traire les vaches pour en
trouver ?
Moi : - C’est dingue ça, on est dans un pays dont le
nom veut dire « lait » et je
n’ai trouvé que du lait en poudre.
Je leur montre le paquet de lait en flocon et là,
silence, geste suspendu, arrêt sur image.
Garçon 2 : - Vache, ça existe encore …
Moi : - Le lait frais vous ne connaissez pas ?
Garçon : - Si depuis la fin de l'année 90…
Moi :- Et avant ?
Garçon 2 : - Avant non il n’y avait pas de lait,
c’était la guerre, il n’y avait que du Nido.
Garçon 1 : - C’est le lait de notre enfance.
Moi j’aime toujours.
Cette douceur que je ressens de Beyrouth me fait
penser à une fleur. Une fleur fragile
mais pugnace, qui trouve toujours un
chemin entre les décombres pour s’élever vers le ciel et ne craint pas de
disparaître car ses racines sont comme des montagnes souterraines, profondes et
puissantes.